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Hard Bop

Pour accompagner cette lecture, voici une Playlist qui reprend les titres cités dans l'article:



Le Hard Bop est un genre de jazz apparu dans les années 1950. Le terme a été inventé par le batteur Art Blakey en 1954 pour décrire la musique qu’il jouait avec Horace Silver’s Jazz Messengers, considéré comme le premier groupe du genre.

Les musicien·ne·s cherchent à retrouver les racines du jazz (blues, negro spirituals…) afin de rompre avec l’ère du «cool*» qui est largement récupéré par les musicien·ne·s blancs·ches. Ce genre se caractérise par une forte section rythmique, une improvisation mélodique et une forte influence blues.

Le Hard Bop a refondu de nombreuses idées du bebop avec des influences de styles traditionnels, mais il a toujours été tourné vers l'avenir en mettant l'accent sur la liberté, en faisant preuve d'inventivité et en prônant l’affirmation d'une culture et d’une identité.  Il a influencé de nouvelles formes comme le free jazz. Miroir du contexte sociétal dont on parlera plus bas, il voit très peu de collaborations entre des musicien·ne·s Noires et blanc·ches et restera pratiqué quasiment exclusivement pas des artistes africain·e·s-américain·e·s. 

On dit que le Hard Bop est la “3ème vague du Jazz Moderne”, après le Bebop et le Cool Jazz.

Art Blakey & The Jazz Messengers - 1961
Art Blakey & The Jazz Messengers - 1961

Le contexte

L'émergence du Hard Bop coïncide presque parfaitement avec le mouvement de lutte pour les droits civiques*. Un contexte politique duquel le jazz ne peut être dissocié.


Certain·e·s historien·ne·s défendent la théorie selon laquelle le lien entre le Hard Bop et la lutte pour les droits civiques est plus qu'une simple coïncidence culturelle et considèrent ce genre comme "une facette musicale du mouvement pour la liberté”. Le Hard Bop comprend de nombreuses incarnations musicales et odes à ce mouvement.. 

En 1958, par exemple, le saxophoniste Sonny Rollins enregistre un des premiers morceaux de jazz appuyant ouvertement la cause des droits civiques: « The Freedom Suite »:


Un autre exemple est "Alabama" de John Coltrane, écrit en réponse à une attaque du Ku Klux Klan lors de l'attentat à la bombe de la 16th Street Baptist Church à Birmingham, en Alabama, le 15 septembre 1963, qui a tué quatre jeunes filles africaines-américaines. Le saxophoniste s'est inspiré du discours de Martin Luther King, prononcé dans le sanctuaire de l'église trois jours après l'attentat, et a calqué son jeu de saxophone sur ce discours.




Martin Luther King prend la parole lors des funérailles de Carole Denise McNair, 14 ans, Addie Mae Collins, 14 ans, et Cynthia Dianne Wesley, 14 ans, trois des quatre jeunes filles tuées dans l'attentat à la bombe de l'église baptiste de la 16e rue. Huit mille personnes ont assisté aux funérailles.


À travers leurs  morceaux, les musicien·ne·s de Hard Bop expriment la vision d'un avenir alternatif viable, centré sur les notions de liberté, d'action collective et d'improvisation. Les relations entre le jazz et le mouvement des droits civiques étaient directes. D’ailleurs, les artistes de ce mouvement musical ont donné des dizaines de concerts de bienfaisance pour le mouvement de libération, et pour de nombreux organismes soutenant cette cause. 


Le lien entre le swing et le hard bop

Le lien entre le Hard Bop et le Swing dans le jazz est un exemple de l'évolution et de la continuité de la musique africaine-américaine. Le Swing, style emblématique des années 1930 et 1940, est caractérisé par son rythme entraînant, son jeu de groupe interactif et ses mélodies accrocheuses. Le Hard Bop, apparu plus tard, dans les années 1950, a été influencé par le swing mais a également apporté des sonorités inédites, des innovations harmoniques et une énergie renouvelée au genre.  

Au cœur de ce lien se trouve le rythme et le groove. Le Swing est connu pour son “swing feel”, un rythme pulsé et syncopé qui incite à la danse. Le Hard Bop a préservé cette énergie rythmique tout en introduisant des rythmes et des grooves plus intenses et complexes. Les musicien·ne·s de Hard Bop ont exploré des rythmes syncopés, des contretemps et des motifs percussifs pour créer une ambiance musicale dynamique et captivante, tout en maintenant l'essence du swing dans ce jeu collectif qui lui est propre.  

En plus du rythme, l'harmonie et l'improvisation sont des aspects cruciaux du lien entre le Hard Bop et le Swing. Ce dernier repose souvent sur des progressions d'accords relativement simples et familières. Le Hard Bop a introduit une complexité harmonique accrue. Ces éléments ont élargi les possibilités d'improvisation pour les musiciens leur permettant d'explorer des voies audacieuses et de repousser les limites. 

L'expressivité est un autre trait commun entre les deux genres. Le Swing se caractérise par un phrasé détendu et des nuances subtiles dans le jeu de chaque musicien. Le Hard Bop a également intégré une expressivité émotionnelle profonde, héritée du blues. Les musicien·ne·s de Hard Bop ont utilisé des inflexions bluesy et des phrasés émotionnels pour donner une touche personnelle à leurs improvisations, renforçant ainsi l'expressivité du swing.  

Dernier élément: les instruments cuivres, qui ont joué un rôle essentiel dans les deux genres. Cette continuité a renforcé le lien entre le Hard Bop et le Swing. 

Preuve de leurs fondamentaux communs, certains morceaux de Hard Bop sont tout à fait dansables pour nous lindy hopper·euse·s ;-)


Evolution

Le lien entre le Hard Bop et le Swing démontre comment la musique évolue tout en préservant son héritage culturel et ses fondements musicaux. Ce genre musical s'est tourné à la fois vers le passé et l'avenir, et a utilisé les leçons de l'Histoire pour conceptualiser un avenir fondé sur la liberté. Bien que le Jazz ait évolué vers d'autres formes dès les années 1960 (Free Jazz) et au-delà, le Hard Bop n'a jamais disparu. On l'entend encore aujourd'hui dans de nombreux enregistrements actuels.



Dix artistes emblématiques du mouvement:


Art Blakey (1919-1990)

Batteur et leader du groupe Jazz Messengers, Art Blakey est l'une des figures clés du hard bop. Il a joué un rôle essentiel dans la popularisation du genre et a influencé de nombreux·euses musicien·ne·s. Tout au long des années 80 et jusqu’à sa mort en 1990. Art Blakey est le maître d’école de toute une génération de néoboppers. Dans le milieu les musicien·ne·s parlaient de la “Blakey University”.

Morceau: "Moanin'" - Art Blakey & The Jazz Messengers (1958) : Un titre emblématique du hard bop composé par Bobby Timmons, avec un groove irrésistible et des solos puissants. 


Jutta Hipp (1925-2003) 


Pianiste dès l’âge de 9 ans, la carrière de Jutta Hipp commence réellement au début des années 1950. Après avoir intégré le Hans Koller Quartet, la musicienne allemande dirige son premier quintet. Elle s’installe en 1955 à New York, où elle vivra jusqu’à sa mort en 2003. Signée par le prestigieux label Blue Note à une époque où les femmes sur la scène jazz ont principalement accès au rôle de chanteuses, l’Allemande publie en 1956 pas moins de trois albums: un double live ainsi que Jutta Hipp with Zoot Sims, qui la voit converser au sein d’un dynamique quintet avec le prolifique saxophoniste californien. Peu sûre d’elle, noyant sa peur de la scène dans l’alcool, Jutta Hipp décidera peu après de tourner le dos à la musique. Les responsables de Blue Note ne la retrouveront qu’en 2001 pour lui remettre un chèque de 40 000 dollars, son album avec Zoot Sims étant entre-temps devenu un jalon essentiel dans l’histoire du jazz féminin.

Morceau: Too close for comfort, composé par George David Weiss, Jerry Block, Larry Holofcenter. Extrait de l’album - “Jutta Hipp with Zoot Sims” (1956).


Cannonball Adderley (1928-1975)


Saxophoniste alto, Cannonball Adderley était connu pour son jeu expressif et passionné. Il a fait partie du quintette de Miles Davis avant de former son propre groupe de hard bop.

Morceau: "Mercy, Mercy, Mercy" - Cannonball Adderley (1966) : Une composition de Joe Zawinul, interprétée par Cannonball Adderley, qui est devenue un succès majeur du jazz soulful et funky du hard bop.  


Mary Lou Williams (1910-1981)


Pianiste et compositrice. Précurseuse, toujours en avance sur son temps, cette musicienne prodige a enregistré plus de 100 albums, traversant les différentes aires du jazz, du stride, au swing, en passant par le bebop et le hard bop . Au milieu des années 50, elle se consacre à la religion et à la musique sacrée sans pour autant continuer à jouer son rôle de mentor auprès de nombreux·euses musicien·ne·s de hard bop. Comme pour toutes ses collègues féminines, son rôle et son influence seront très largement minimisés. Si tu as envie d’en savoir plus sur Mary Lou Williams, tu peux lire cet article que notre équipe a rédigé sur elle .

Morceau: Pale Blue. Composition de Buster Williams. Enregistré en 1987. 


Horace Silver (1928-2014)


Pianiste et compositeur, Horace Silver a été un contributeur majeur au hard bop. Ses  compositions emblématiques, telles que "Song for My Father," ont laissé une marque indélébile sur le jazz.

Morceau:  "Song for My Father" - Horace Silver (1964) : Une composition célèbre de Horace Silver qui mélange des éléments de hard bop avec des influences latines, créant un morceau mémorable. 


Melba Liston (1926-1999)


Tromboniste, arrangeuse et compositrice. En dehors des groupes exclusivement féminins, elle a été la première femme tromboniste à jouer dans des big bands dans les années 1940 à 1960. Au fur et à mesure de sa carrière, elle s'est également fait connaître en tant qu'arrangeuse. Melba Liston s’exprimera souvent sur le manque de visibilité des femmes musiciennes dans le jazz, et plus particulièrement, sur le sort des femmes musiciennes africaines-américaines. "Il était clair qu'elle devait continuellement prouver ses qualifications pour obtenir un emploi convenable en tant que musicienne, compositrice et arrangeuse. Elle n'était pas rémunérée de manière équitable et se voyait souvent refuser l'accès à des opportunités plus importantes en tant que compositrice et arrangeuse".

Morceau: What’s my Line Theme- Melba Liston and her bones


Lee Morgan (1938-1972)


Trompettiste talentueux, Lee Morgan a été reconnu pour son style unique et sa virtuosité. Il a été un pilier de la scène du hard bop et a enregistré de nombreux albums remarquables en tant que leader.

Morceau: The Sidewinder - composition de Lee Morgan, sortie en 1964, qui connaît un très grand succès dans les charts. Mix osé entre hard bop, pop et R&B qui deviendra un standard du jazz. 


Shirley Scott (1934-2002)


D’abord pianiste, trompettiste et chanteuse, elle adopte ensuite l'orgue Hammond*. Elle est surnomée, “La Reine de l’Orgue” et après avoir joué dans plusieurs formations, elle dirige son propre trio.

Morceau: In the Kitchen - Enregistré avec le saxophoniste tenor Eddie "Lockjaw" Davis avec qui Shirley Scott va beaucoup jouer entre 1956 et 1959. Composition d’un nom bien connu des amateurs-ices de Swing: le saxophoniste Johnny Hodges. 

Lou Donaldson (1926) 


Saxophoniste alto. Il signera, en tant que leader, 26 albums pour le fameux label Blue Note dans les années 50 et 60. Il se produit fréquemment dans des clubs mythiques new-yorkais comme le “Five Spot” et se sera sur scène jusqu’à ses 90 ans passées. “Un discours chaleureux sur une base de blues mêlé de funk…une sonorité assez aigre et un phrasé très précis”, voici ce que dit le Nouveau Dictionnaire du Jazz de Lou Donaldson. Morceau: Blues Walk - composition de Lou Donaldson. Enregistré chez Blue Note en 1958, ce morceau est considéré comme LE chef-d’œuvre incontesté de Lou Donaldson. 


Vi Redd (1928- 2022) 


De son vrai nom Elvira Redd, est une chanteuse et saxophoniste de jazz américaine. Elle est surtout connue pour sa carrière dans le jazz et le rhythm and blues. Redd a été active depuis les années 1940 jusqu’aux années 2000. Elle a enregistré plusieurs albums au cours de sa carrière, notamment “Bird Call” en 1962, qui a été bien accueilli par la critique. Morceau: Now's the time (album Bird Call) composé par Charlie Parker, avec notamment Richie Goldberg aux percussions et Russ Freeman au piano.



Rédaction: Flavia Ciaranfi


Notes: 

*Forme de jazz apparue à la fin des années 40. Le cool jazz se distingue par un ton doux, avec des rythmes plus lents et moins de cuivrest. Le « cool jazz » est souvent associé au mouvement « jazz West Coast »10,11, jazz joué, dans les années 1950, par les musiciens — la plupart du temps blancs

*le mouvement des droits civiques aux Etats-Unis se réfère à la lutte des Noir.e.s américain.e.s pour obtenir la déségrégation et l'égalité des droits dans la loi et dans les faits.

* L'orgue Hammond est un instrument électromécanique à clavier inventé dans les années 1930 par Laurens Hammond. S'inspirant de l'orgue traditionnel, il était initialement destiné à équiper des églises n'ayant pas la place ou les moyens financiers pour disposer d'un orgue à tuyaux. Le modèle le plus connu est le B-3. Mis au point en 1955 et toujours utilisé plus de 60 ans après, il se différencie de ses prédécesseurs par l'utilisation d'un système de percussion et de tirettes linéaires. Cet instrument a été et reste toujours très utilisé pour le jazz


Sources:


 

Pour en apprendre plus sur le swing et son histoire:

Swungover Le projet Swing History, mené par plusieurs passionné·e·s de la scène swing Suisse Romande vise à faire connaître les racines de la musique et des danses swing. Bien que ces articles soient le fruit de recherches sérieuses, il est impossible de garantir l'absence d'erreurs et/ou de maladresses.

L'équipe se réjouit de recevoir corrections et commentaires et d'en apprendre plus grâce à ces contributions. Envie de faire partie de l'aventure? Le projet est en constante évolution! Contacte-nous à swinghistory@swingtimelausanne.ch et rejoins la team Swing History!


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